13e Colloque annuel du RÉDiST

Détection et quantification des contaminants organiques dans les sols et les sédiments.

Pelletier, Émilien, emilien_pelletier@uqar.uquebec.ca, Professeur titulaire, Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER), Université du Québec à Rimouski, 310 allée des Ursulines, Rimouski (Qué) Canada G5L 3A1.

Résumé de conférence

Le réveil environnemental qui a été sonné à la fin des années soixante par les groupes environnementalistes a non seulement provoqué une vaste prise de conscience des populations et des gouvernements face à la pollution mais il a aussi mis en alerte les laboratoires d'analyse de par le monde qui réalisaient soudain qu'ils n'avaient pas les outils nécessaires pour fournir les analyses chimiques demandées. L'absence de techniques de pointe était encore plus évidente du côté de la détection et de la quantification des molécules organiques présentent dans l'eau, les sols, les sédiments et les tissus organiques. Le défi était et reste de taille car la complexité chimique et géochimique du milieu à analyser constitue une barrière constante à la détection de molécules souvent fragiles et réactives.

Cette conférence vous présentera une brève revue de l'instrumentation analytique le plus moderne dans le domaine de l'analyse environnementale et nous partirons ensuite à la recherche des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et des butylétains (BT) , deux familles de composés toxiques issues des activités anthropiques et qui se retrouvent dans les sédiments lacustres et marins de nombreux pays dans le monde.

Pour identifier et quantifier les membres d'une famille de contaminants, il y a toujours quatre étapes essentielles à franchir : 1) l'extraction; 2) la purification; 3) la séparation et 4) la quantification. Les progrès technologiques les plus récents ont été accomplis au niveau de la séparation et de la quantification des molécules recherchées. La chromatographie en phase gazeuse a été et reste la technique maîtrise des laboratoires d'analyse environnementale. Dans ce secteur, l'avancée technique la plus importante des années soixante-dix aura été le développement de la colonne capillaire capable de fournir des millions de plateaux équivalents et permettant entre autres de séparer les 207 congénères de biphényles polychlorés (BPC). L'autre percée technologique essentielle aura été le couplage du chromatographe à gaz avec le spectromètre de masse pour l'identification absolue des molécules séparées. Les techniques de GC/MS/MS sont à la fine pointe de l'analyse environnementale et permettent la détection de molécules toxiques jusqu'au niveau du ng/g de sédiment et même du pg/g dans certains cas.

Cependant, il reste des problèmes insolubles en chromatographie gazeuse. Pour être analysée, la molécule doit nécessairement passée en phase gazeuse et migrer sous le flux d'un gaz porteur, or certaines molécules ne supportent pas du tout la chaleur, elles sont dites " thermolabiles ". Elles ont tendance à brûler dans l'injecteur du chromatographe à gaz et ne sont pas analysées.

La solution est venue avec le développement de la chromatographie liquide à haute pression (HPLC), une avancée technologique plus lente et pénible qui a tout de même conduit aujourd'hui à des outils de très haute performance. Les chromatographes liquides ont des capacités de résolution encore inférieures à celles des chromatographes à gaz mais ces instruments sont devenus essentiels dans les laboratoires analytiques surtout parce que les développeurs sont parvenus à y coupler des détecteurs hypersensibles à certaines molécules comme le spectrofluoromètre et plus récemment le spectromètre de masse. La HPLC/MS/MS est devenu l'outil le plus puissant jamais mis au point pour la découverte et l'analyse de molécules biologiques que l'on trouve dans les sédiments et les sols. On utilise souvent ces molécules comme des marqueurs de l'évolution biogéochimique d'un milieu contaminé ou en cours de rétablissement.

Notre laboratoire de recherche s'intéresse avant tout à la présence et aux effets de multiples composés toxiques présents dans l'environnement aquatique en général et le milieu marin en particulier. On ne peut pas faire de la toxicologie environnementale sans faire de l'analyse. Une première partie de nos travaux porte sur les HAP enfouis depuis des décennies dans des sédiments lacustres et marins. La question est de savoir si ces HAP ont encore des effets néfastes sur la faune aquatique ou s'ils sont devenus inoffensifs. L'approche classique pour l'extraction des HAP est l'utilisation d'un solvant de polarité moyenne comme le dichlorométhane ou encore un mélange d'hexane et d'acétone mis en contact avec le sédiment pendant plusieurs heures. L'extrait obtenu est souvent jaune ou brunâtre et il faut procéder à une ou plusieurs étapes successives de nettoyage de l'échantillon sur de petites colonnes de silice activée. Ces étapes préparatoires sont lentes et fastidieuses mais sont essentielles à l'obtention d'une bonne qualité chromatographie. L'extraction et la purification de l'échantillon sont sujettes à la nature du sol ou du sédiment et doivent souvent être ajustées selon la granulométrie ou le contenu en carbone organique. L'échantillon purifié est ensuite chromatographié et quantifié à l'aide d'un détecteur en ionisation de flamme (FID). Pour déterminer si les HAP sont plus ou moins emprisonnés dans la matrice organique, nous procédons à des analyses successives du même échantillon en utilisant des solvants ayant des pouvoirs d'extraction variés et nous déterminons la toxicité des extraits à l'aide d'une batterie de biotests effectués à l'aide de lecteurs de microplaques.

Une seconde partie de nos travaux porte sur la présence et la toxicité des butylétains en milieu côtier. Ces molécules organométalliques sont des biocides puissants qui sont introduits dans l'écosystème marin par les peintures antisalissures des grands navires marchands. Le tributylétain se dissous dans l'eau et ensuite s'attache aux particules et finalement tombe dans les sédiments profonds. La difficile question analytique est d'être en mesure d'analyser ce composé dans les sédiments et les organismes à des concentrations très très faibles néanmoins toxiques pour la faune. Le protocole que nous avons adopté depuis quelques années consiste à d'abord en une attaque à l'acide chlorhydrique (HCl 1M) pour déloger les butylétains de leurs sites d'adsorption, suivie d'une extraction à l'hexane additionné de tropolone. Comme les butylétains sont des cations, il faut les neutraliser avant la chromatographie en les faisant réagir avec le borate tétraéthyles qui produit des dérivés éthylés pouvant être séparés en chromatographie gazeuse. Pour ce type de composés, le meilleur détecteur est sans doute la spectrométrie de masse car l'étain possède une riche distribution isotopique qui rend les fragments organostanniques faciles à retrouver sur les spectres de masse. Notre limite de détection atteint généralement 1 ng/g de sédiment sec avec un coefficient de variation analytique de l'ordre de 10%.

Quoique l'instrumentation et les méthodes analytiques appliqués à l'environnement aient beaucoup progressé au cours des 20 dernières années, l'analyse environnementale reste un grand défi autant pour la recherche que pour l'application des nouvelles technologies. Chaque année des centaines de nouvelles molécules sont mises en production dans le monde aussi bien dans le domaine pharmaceutique que le domaine industriel et beaucoup de ces molécules se retrouvent dans notre environnement. Nous avons besoin d'outils de plus en plus performants pour déterminer la distribution de ces molécules dans notre environnement quotidien et déterminer si elles peuvent porter atteinte à notre santé et à celle de l'écosystème qui nous entoure.